EDITORIAL CONGO-AFRIQUE AVRIL 2018

Publié le par CEPAS - AD

Démocratie en Afrique : y a-t-il une vie après la Présidence ?

 

« Tout homme qui exerce le pouvoir appréhende le vide après. […] Il faut pouvoir envisager sereinement que les opposants deviennent des dirigeants et inversement. […] Le personnel politique est souvent obnubilé par l’ascension sociale bien plus que par l’intérêt général et l’amélioration des conditions de vie des populations. »[1]

 

            Le 29 mars dernier, le Président Botswanais, Seretse Ian Khama, à la tête d’un pays qui truste souvent les classements internationaux dans de nombreux domaines, dont la bonne gouvernance et l’environnement des affaires, a créé la surprise en annonçant son départ anticipé du pouvoir, alors qu’il avait encore devant lui, constitutionnellement parlant, plusieurs mois à passer au sommet de l’Etat. En marge de sa tournée d’adieux effectuée à travers le pays, on l’a vu exhiber, visiblement heureux et comblé, quelques pas de danse. L’image a fait le tour du monde. Depuis, la vidéo de la danse présidentielle est devenue virale sur les réseaux sociaux, faisant les choux gras des millions d’internautes africains qui ont salué une décision courageuse, en même temps qu’ils ont souhaité voir ce geste républicain du président botswanais créer des émules sur le continent, en inspirant les décisions de certains de ses pairs africains qui appréhenderaient le vide après le pouvoir.

Des passations démocratiques du pouvoir, sans bain de sang ni cataclysme sociopolitique, peuvent (et devraient !) exister…même en Afrique, où l’alternance pacifique au sommet de l’Etat n’est pas monnaie courante. C’est vrai, on peut donc quitter le pouvoir…en dansant !

Pourquoi ? Parce que, précisément, la vie continue…Parce qu’il y a une vie après la présidence ! Des exemples ne manquent pas sur le continent. Sans procéder à un inventaire exhaustif des pays où des anciens présidents continuent de servir leur peuple, autrement, au terme de leur(s) mandat(s), évoquons en passant les cas du Ghana (John Dramani Mahama et les autres prédécesseurs de Nana Akufo Addo), de la Tanzanie (Jakaya Kikwete), du Sénégal (Abdoulaye Wade et son prédécesseur Abdou Diouf), du Bénin (Boni Yayi et Nicéphore Soglo), du Nigeria (Goodluck Jonathan et Olusegun Obasanjo) et, récemment, du Liberia (Ellen Johnson Sirleaf) et de l’Angola (José Eduardo dos Santos).

            Assurément, réfléchir sur les défis de la démocratie en Afrique revient forcément à évoquer l’après-présidence de la république pour exorciser la peur du vide dont parle Philippe Perdrix, qui hanterait certains dirigeants africains. Ainsi, pour consolider la démocratie dans les mœurs politiques du continent, l’on a besoin que se multiplient des exemples de passations du pouvoir sans heurts ni prise en otage de la destinée de tout un peuple. En effet, la radioscopie de la scène politique africaine révèle que les entorses à la démocratie tournent souvent autour de l’alternance au sommet de l’Etat, occasionnant une manipulation et une interprétation tendancieuses, voire biaisées, de la loi fondamentale du pays, la Constitution, au profit de la Majorité au pouvoir.

            La présente livraison de Congo-Afrique passe en revue quelques écueils qui se dressent encore sur le chemin de la démocratie en Afrique. Dans ce sens, Mutoy Mubiala fustige l’Etat léonin en Afrique qu’il situe aux antipodes de la démocratie, du développement, de la justice et de la paix. Usant d’un langage imagé, il invite les  hommes et femmes politiques africains à puiser dans les ressources de l’humanisme africain, qui a été à la base d’une gouvernance inclusive et participative dans l’Afrique traditionnelle. Jean René Mwabilo n’hésite d’ailleurs pas à suggérer que l’Afrique devrait réinventer sa démocratie en combinant l’idéal universel et ses richesses culturelles.

Face à une démocratie représentative de plus en plus défaillante, gangrenée par des prises de positions partisanes et nombrilistes, et en déphasage avec les attentes du souverain primaire, le peuple, il se développe actuellement de nouveaux espaces de participation citoyenne que Mutundikidi nomme la démocratie électronique. Celle-ci serait-elle une opportunité de remettre le peuple, véritable détenteur du pouvoir, au centre des débats de la nation et de la raison d’être même de l’Etat ? Il n’est pas faux de le penser, au vu de l’ampleur que prend la participation citoyenne sur la toile.  

Le chemin vers une démocratie enracinée en Afrique est encore long. Il faut des remèdes qui attaquent le mal en profondeur. Souvent, on n’atteint pas de résultats probants parce que les solutions préconisées sont cosmétiques, superficielles. C’est l’avis de Paulin Manwelo qui soumet l’Accord de la Saint Sylvestre 2016, en RD Congo, au crible de la raison. Le mal congolais étant profond et global, il convient, soutient-il, de rechercher des solutions durables, à l’opposé de ce qui se fait actuellement. C’est de ces solutions durables que pourra émerger une Afrique éprise de bonne gouvernance, celle-ci étant un véritable vecteur de la démocratie et du développement, comme le rappelle Kä Mana dans le regard critique qu’il porte sur la scène politique congolaise et africaine.

Verra-t-on se multiplier des exemples de présidents africains qui quittent le pouvoir en dansant, avec le sentiment et la conviction de rester utiles, mais autrement, à leur nation ? En tout cas, c’est le vœu que tout Africain sensé formule, après le geste interpellant du président Botswanais. Que son « pas de danse présidentiel » s’enracine véritablement dans les mœurs politiques des démocraties africaines encore à la traîne!

 

 

NZADI-A-NZADI ALAIN, S.J.

Directeur du CEPAS et Rédacteur en Chef de Congo-Afrique

           

 

 

           

 

 

 

[1] Philippe Perdrix, « Le sort des présidents déchus fait débat », in Congo-Afrique n°504, avril 2016, p. 294.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article